Hommage au Professeur Graham Serjeant, une vie dédiée à la drépanocytose

Hommage au Professeur Graham Serjeant, une vie dédiée à la drépanocytose

 

La communauté de la drépanocytose pleure la disparition du Professeur Graham Serjeant, une figure éminente dont le travail inestimable sur la drépanocytose est reconnu à l’échelle internationale. L’hommage ci-dessous a été rédigé par ses proches collègues de l’Unité de la drépanocytose en Jamaïque, où il a travaillé.

Professeur Graham Roger Serjeant,

Combien d’entre nous, une fois notre passage sur Terre terminé, pourront dire que nous avons changé le monde pour le mieux ? Telle fut la vie du Professeur Graham Roger Serjeant, MD. Ses deux grandes passions — son épouse Beryl, avec qui il partagea soixante années de mariage, et la recherche visant à améliorer le traitement et la vie des personnes vivant avec la drépanocytose à travers le monde — ont alimenté une vie d’un impact exceptionnel. Leur partenariat, à la fois dans la vie et dans le travail, reste un exemple pour les générations futures.

Né en 1938 au Royaume-Uni, Graham Serjeant, après avoir terminé ses études de médecine, a postulé pour un emploi en Jamaïque, encouragé par son épouse qui avait passé une partie de son enfance dans les Caraïbes. L’influence de Beryl, technicinne en analyses biomédicales, l’a conduit à collaborer avec des collègues soignants des personnes vivant avec la drépanocytose. Fasciné, il en a fait sa vocation.

Son travail préliminaire lui a valu un soutien à la recherche du Medical Research Council (Royaume-Uni), qui a financé ces travaux pionniers jusqu’à sa retraite en 2019. Durant cette période, il a créé l’Unité de la drépanocytose (SCU) sur le campus Mona de l’Université des West Indies (UWI), une base pour la recherche, la formation et la prise en charge médicale des personnes atteintes.

Le sommet de ses recherches repose sur la technique de dépistage des nouveau-nés, développée par Beryl Serjeant, permettant d’identifier les cas de drépanocytose dès la naissance. Ils ont prouvé, en testant 100 000 naissances consécutives à l’hôpital Victoria Jubilee, que le dépistage néonatal de la drépanocytose pouvait être effectué à l’échelle d’un état ou d’un pays. L’étude de cohorte jamaïcaine sur la drépanocytose (JSCCS) a identifié 550 cas de drépanocytose, dont le plus âgé a aujourd’hui plus de 50 ans. En suivant et en soignant cette cohorte de patients, il fut le premier à démontrer que les vaccins et les antibiotiques préventifs pouvaient réduire significativement les décès précoces. De plus, il a montré que l’enseignement de techniques simples aux parents, comme palper l’abdomen pour détecter une rate hypertrophiée ou reconnaître certains signes de maladie, améliorait la survie des enfants. Grâce à ces interventions peu coûteuses, le nombre d’enfants atteints décédant avant l’âge de cinq ans a été réduit de moitié.

Ils ont parcouru toute la Jamaïque pour retrouver les membres de la cohorte ‟JSCCS” qui, en grandissant, avaient quitté Kingston, afin de leur assurer un suivi médical essentiel. Pour cela, il a mis en place de petites cliniques dans six régions de Jamaïque, facilitant la possibilité de prise en charge pour les participants disséminés de la cohorte ‟JSCCS”. Les cliniques de Black River et de Cornwall Regional Hospital ont continué à fonctionner même après sa retraite. À mesure que la cohorte vieillissait, il a étudié minutieusement les complications survenant et a cherché des moyens d’améliorer les résultats. Les personnes vivant avec la drépanocytose en dehors de la cohorte ont également bénéficié de soins à l’Unité de la drépanocytose, le SCU.

Après sa retraite du SCU, en tant que Professeur émérite de l’UWI, il a continué de travailler sur la drépanocytose jusqu’à peu de temps avant son décès. Le projet “Manchester”, une entreprise majeure durant sa “retraite”, consistait à effectuer des tests de dépistage de la drépanocytose dans toutes les écoles secondaires des autorités sanitaires régionales du Sud, puis de l’Ouest, en informant les élèves porteurs de la maladie ou du trait drépanocytaire sur les risques liés à la transmission de la maladie. Cela a conduit au lancement du dépistage néonatal dans ces paroisses. Cette avancée a été déterminante pour la mise en place du dépistage universel de tous les nouveau-nés jamaïcains atteint en 2020, dans les hôpitaux publics comme privés, grâce au Groupe de travail technique sur la drépanocytose, collaboration entre le Ministère de la Santé et du Bien-être, les autorités régionales de santé, les représentants des patients et le SCU.

Ses plus de 500 publications dans des revues médicales témoignent de son engagement à comprendre les effets de la drépanocytose et à diffuser ses découvertes le plus largement possible. Ses trois livres offrent des descriptions approfondies de la maladie, précieuses pour tout clinicien. Son désir de partager ses connaissances l’a également conduit à influencer directement les soins apportés aux personnes atteintes dans des pays comme le Brésil, la Grèce, le Nigeria, l’Ouganda et l’Inde. Il y a initié des projets de recherche et amélioré la prise en charge des patients, mettant en évidence les similarités et différences de la maladie selon les contextes. Il a également donné de nombreuses conférences à travers le monde, prônant des interventions simples et abordables pour améliorer le cours de la drépanocytose. Non seulement expert mondialement reconnu, il était aussi un orateur brillant et très apprécié lors des congrès scientifiques. Il a formé de nombreux étudiants, médecins et chercheurs, d’abord principalement venus du Royaume-Uni, puis de plus en plus de Jamaïquains, qui ont intégré la connaissance de la drépanocytose dans leurs carrières respectives. Il a également développé de nombreux outils éducatifs à destination des patients, des parents et du grand public.

Il a profondément marqué de nombreuses vies en formant et en soutenant de jeunes patients de la cohorte ‟JSCCS”, des professionnels de santé, des membres de la congrégation quaker dont il faisait partie, ainsi que bien d’autres personnes croisées sur son chemin. Sa mémoire phénoménale lui permettait de se souvenir des détails personnels de chacun, et il ne manquait jamais de prendre des nouvelles des conjoints, enfants et proches de ses interlocuteurs.

Son héritage est incontestable : grâce à lui, les personnes vivant aujourd’hui avec la drépanocytose — ainsi que celles à naître — bénéficieront de meilleures chances de survie et de traitements améliorés. Tout cela, grâce à la passion et à l’engagement de toute une vie d’un homme, le Professeur Graham Serjeant.

Prs. Jennifer Knight-Madden, Monika Asnani, Lesley King

Sickle Cell Unit, Caribbean Institute for Health Research, UWI.

Categories: Actualités, français

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